De jaren LES ANNÉES

Photographies 2019 2023

MAMADOU MAHMOUD N’DONGO

Entretien avec Mamadou Mahmoud N’Dongo
Adeline Chapellier

Adeline Chapellier— La première photographie… En tant que modèle, en tant que personne qui découvre cet art, et… en tant qu’artiste.

MMN’D— L’école, photographie scolaire, ma mère a déménagé il y a deux ans, et on a dû faire les cartons. J’ai emballé les albums pour le temps du transport, puis je les ai ouverts dans le nouvel appartement, à trois cents mètres de l’ancien. Par un de ces hasards de la vie, la fenêtre de la cuisine donne dans la cour de récréation de mon école primaire… je n’ai pas beaucoup aimé l’école, mais paradoxalement j’aime les photographies scolaires… j’aime particulièrement l’enfant qui anéantit le travail du photographe, celui qui fait une grimace comme mon frère Brahim, où nous sommes tous les deux, moi qui fait le job et lui qui a décidé que non, j’aime aussi celle avec ma sœur avec ses grosses lunettes et son strabisme, c’est touchant, puisque nous sommes enfants avec toutes nos imperfections, et nos humeurs comme ma nièce qui fait la tête parce qu’on l’a empêchée d’être près de sa meilleure amie pour des raisons de taille…

AC— Ça c’est en tant que modèle, et qu’elle est cette première image qui va vous faire prendre conscience que c’est un art…

MMN’D— Elle est en noir et blanc, elle date de 1975 au Sénégal, j’ai 5 ans, je suis devant la maison de Pikine, je suis nu comme tous les enfants à Pikine, je suis à côté d’un cousin, j’ai un coquillage dans les cheveux, je souris à l’objectif… on nous a arrêtés dans notre course pour prend la pose. C’est mon père qui a pris la photographie, il s’agit aussi de la plus ancienne image que j’ai de moi…

AC— Cette photographie est aussi la première en tant que modèle…

MMN’D— Je ne la considère pas ainsi…

AC— Pourquoi ?

MMN’D— Puisqu’au moment où j’étais photographié je ne savais pas qu’il s’agissait de photographie, contrairement aux photographies scolaires… et cette photographie est importante puisqu’elle dit que j’ai été un enfant à Pikine, un enfant heureux d’après le souvenir de mes parents et de ma grand-mère qui m’avait élevé, mais pour moi, sans cette photographie je ne l’aurais pas su… quelque mois après cette photographie, mon père est revenu me chercher et j’ai dû quitter Pikine pour Drancy, pour rejoindre ma famille et lors du voyage, en prenant l’avion un homme dans la file avec ses chaussures plateformes typiques des seventies a écrasé mon gros orteil droit, depuis j’ai un ongle incarné et une mémoire qui a disparu… le traumatisme du voyage, l’orteil, bref l’arrachement fait que je n’ai plus aucun souvenir de mon enfance au Sénégal… J’ai tout refoulé…

AC— Vous aviez quel âge quand vous voyez cette image de vous enfant… vous étiez enfant, adolescent, adulte, dans quelle circonstance… cette photographie elle était sur le mur chez vos parents…

MMN’D — Non… c’est en feuilletant un des albums… ils étaient rangés en haut des armoires avec les grandes valises, on les descendait quand ils devaient partir au Sénégal, mais celui-là, il était bien caché, puisque je ne l’avais jamais vu… Cet album est composé d’images prises par mon père dans les années 70.

AC— Votre père photographiait.

MMN’D— Non, il faisait des images… mon père avait un usage de la photographie comme tout un chacun, il enregistrait des moments, il venait une fois par an au Sénégal, lors de ses vacances, et photographiait ses proches, ses amis, sa famille, ses enfants… puis il repartait avec ses images… mon père est né en 1936 et il avait immigré pour le travail en France dans les années 70, dès qu’il l’a pu, il a fait venir sa famille, mais entre-temps, il gardait un lien par le téléphone, et par les images.

AC— Il photographie toujours.
MMN’D— Mon père a beaucoup photographié dans les années 60/70 puis il a arrêté à la fin des années 80, je me souviens qu’il avait acheté un polaroid, son dernier boitier… on a fait quelques photos puis il a arrêté. Il faisait des souvenirs, parce que sa famille était loin, dès qu’elle a été réunie, il a cessé et les images qu’il a faites après c’était pour des événements spécifiques visite de la Tour Eiffel, achat de la première voiture… de la fin des années 80 à sa mort en 2018, il n’a plus touché un boîtier. Pourtant j’ai plusieurs anciennes photographies de lui portant son appareil en bandoulière… pour revenir à cette photographie de moi enfant à Pikine, il m’a fallu un temps pour me reconnaître… La photographie n’était pas floue, ni abîmée, c’est juste qu’il m’a fallu concéder que c’était moi à l’image… la photographie en elle-même était mal composée, mon père était tout le contraire de moi. Je cadre, pour moi la photographie c’est un cadre, un œil, un regard, je ne recadre jamais, je viens du cinéma, je prends le temps de la composition, quand je photographie, mon cadre est l’élément constituant de ma photographie. Et cette photographie est mal composée, mais c’est une photographie réussie puisqu’elle parvient à transmettre à traduire une émotion…

AC— Pour vous c’est le critère qui fait qu’une photographie est réussie ou pas…

MMN’D— L’un des trois, c’est ce que j’enseigne dans mes ateliers…

AC— Vous aimez enseigner ?

MMN’D— Cela fait partie du processus créatif, selon moi, il est essentiel d’expliquer, d’initier, de transmettre… j'apprécie la partie intellectuelle du processus créatif, la restituer, la conceptualiser, l’inscrire dans un continuum, je crois que pour comprendre son art, il faut prendre le temps de l’introspection, de l’analyse, il est essentiel d’avoir une bibliothèque et tout autant de dialoguer avec ses contemporains, artiste, universitaire, journaliste ou public, c’est pour cela que je participe aux conférences, que j’accepte les interviews et bien sûr l’enseignement… Je l’ai fait très tôt, au début c’était pour des contingences aussi économiques, puis je me suis aperçu très vite, que je devenais un bien meilleur écrivain, photographe cinéaste, dramaturge, après ces apartés… j’abordais des questions ou j’étudiais des artistes que sans mes cours, je n’aurais pas fréquentés… et cela a changé ma pratique, en tant qu’artiste et en tant que penseur de ma pratique artistique… c’est ainsi que pour la photographie trois cirières me semblent importants… esthétique, politique, émotionnel, et cette photographie de moi enfant, elle m’a touché, d’un point de vue émotionnel…

AC— Avant non ? Les images vous laissaient indifférent…

MMN’D — Ce n’était pas pareil…

AC— Vous aviez quel âge ?

MMN’D — 13 ans…

AC— En tant que modèle c’est à l’école, en tant que personne qui découvre cet art c’est par ce portrait de vous par votre père, et maintenant…

MMN’D — En tant que photographe …

AC— Vous avez commencé quand la photographie ?

MMN’D — À avoir un boitier et à faire des photographies… En 1991, j’ai fait un stage en vidéo, son et lumière. C'est pendant ce stage que je m’initie à la photographie dans l'agence Le Bar Floréal… j’avais 20 ans… Donc, c’était il y a 33 ans.

AC— Et vous signez Moussa Soumaré pour vos publications et expositions ? C’était pour différencier vos activités…

MMN’D— Oui, je m’apprêtais à publier mon premier livre un recueil de nouvelles en 1997… et je ne voulais pas la confusion des genres, à cette époque…

AC— Pourtant vous alliez faire des films, entre 1994 et 95, trois courts métrages expérimentaux, que vous avez signés Mamadou Mahmoud N’Dongo…

MMN’D— Ce n’est pas pareil, les films je les avais écrits…

AC— Pourtant vos univers visuels sont proches, l’esthétisme de vos films et vos photographies particulièrement en noir et blanc sont semblables.

MMN’D— C’est pour cela que depuis je mets mon nom…

AC— Première publication 1996 dans le magazine de culture urbaine POWER !!, vous faisiez une série de portraits de danseurs de Hip Hop et rappeurs… c’était pour un festival XXL Performances… Première exposition ?

MMN’D— Pareil en 1996, pendant le festival XXL, on avait décidé d’exposer les photographies prises la veille pour le lendemain, c’était notre performance je ne sais plus qui a eu cette idée, je pense certainement Raymond, Raymond Eldin à qui je dois beaucoup dans ma construction en tant que photographe…

AC— Nathalie Philippe votre préfacière dans NOIRS l’évoque ainsi que Véronique Le Dosseur, André Lejarre, ils font partie des personnes qui vont vous initier, vous former, et vous encourager à devenir photographe. Comment vous rencontrez Raymond…

MMN’D— Il participe en tant que figurant à l’un des sketchs que je tourne pour l’atelier vidéo de Bobigny en 1994, on se lie d’amitié, il est photographe, il est responsable de l’atelier photo de la ville de Bobigny, je le rejoins…

AC— Vous faisiez déjà de la photographie ?

MMN’D— 1991, grâce à André Lejarre, je faisais un stage et je voulais être directeur de la photographie, je me formais et lors d’un des stages à l’entreprise, j’ai souhaité parfaire ma connaissance du cadre. J’ai contacté le beau-frère de mon oncle, il m’a proposé de venir au Bar Floréal, une agence d’extrême gauche qu’il avait fondée, et c’est par son biais que je vais faire la découverte des œuvres de Walker Evans, Dorothea Lange… Robert Franck, et un genre qui m’intéresse toujours, la photographie documentaire. Il va me prêter deux livres de la collection Life La Photographie, « La Photographie Documentaire » 1973 et « Le Reportage Photographique » 1978. Ces deux livres seront mes bibles, je vais les lire et relire, André va me proposer pour terminer mon stage dans l’agence où j’ai fait tous les postes, je l’ai accompagné en reportage, en studio, j’ai passé pas mal de temps en étant assistant laborantin (j’ai appris à utiliser les filtres, l’art du masquage…), André me propose de faire moi-même un travail de photographe documentaire. C’est ainsi que je vais décider de faire HALL. Je prends mon boitier et comme les photographes du FSA, La Farm Security Administration (FSA) est un organisme américain créé par le Ministère de l’Agriculture en 1937, chargé d’aider les fermiers les plus pauvres touchés par la Grande Dépression. Et pour ce faire, il demande à des photographes parmi eux, Walker Evans, Dorothea Lange, Gordon Parks, Arthur Rothstein… de documenter la vie et le travail des américains ruraux…

AC— Vous décidez de faire comme eux, de documenter votre quartier !

MMN’D— Tout à fait, je vais cheminer dans Drancy, photographier le quartier et ses habitants… à la fin, je dois montrer mon travail, avoir un retour du collectif et il fut encourageant, ils trouvent que je parviens à saisir à resituer, que j’ai un regard, de même qu’une esthétique, j’ai toujours aimé les tirages contrastés, je faisais mes photographies avec la tri-x 400… j’utilisais différents optiques avec une préférence pour le 28 et le 50, et le 85 pour le portrait…

AC— Vous faisiez déjà de la photographie, avant ce stage ?

MMN’D— Non… ni photographie, ni film… le seul l’art visuel que je pratiquais c’était le dessin…

AC— Vous dessiniez…

MMN’D— Le dessin encore aujourd’hui… c’est le premier art que j’ai pratiqué.

AC— Je pensais que c’était la musique… vous avez fait de la guitare classique et du piano…

MMN’D—Oui, quatre ans de guitare, dix ans de piano, cinq ans d’histoire de la musique et du répertoire pianistique… Ce qui m’a toujours intéressé en musique c’est la composition… j’ai commencé à la pratiquer vers mes 18 ans, mais ce n’est pas mon premier art, c’est le second… Je me prédestinais à devenir peintre… C’est en 1993 que j’ai décidé d’être écrivain et je me suis éloigné de la peinture…

AC— Pourquoi ?

MMN’D— À ce moment de ma vie, la littérature était plus à même de répondre à mes attentes intellectuelle et esthétique que la peinture… à mes angoisses existentielles. Je suis écrivain, photographe, cinéaste, dramaturge… Il est important pour moi, de respecter la chronologie de mes arts… puisque ça dit mon état au monde, au moment où je les découvre, où je les pratique, et où je décide de les faire miens. 1991 pour la littérature, la photographie 1992, le cinéma en 1994, et j’écris ma première pièce en 2013…

AC— Pas de musique…

MMN’D— Je n’ai pas fini « Maelstrom » une sonate pour piano que j’ai ébauché il y a 20 ans, et pendant le confinement… ce temps hors du temps qu’a été ce moment… j’ai à nouveau ouvert la partition… et j’ai eu envie d’y revenir…

AC— Dans… De Jaren vous l’avez photographié : ce temps hors du temps qu’a été ce moment qui a pour titre JOUR-14, qui est votre journal débutant le 12 mars 2020, la veille du confinement où vous assistez à L’Espace Cardin à la représentation des Sorcières de Salem jusqu’au 24 juin 2022 où vous photographiez un homme de dos au Parc à Amsterdam. Dans cette série vous documentez en tant qu’artiste, et témoin. Vous photographiez ; l’apparition du masque, vous mettez en scène non sans humour par exemple dans Le Veau d’or les produits de premières nécessités et les pénuries : le café, les pâtes, le sucre, le papier toilette… ou bien dans La Permission les attestations qu’on devait se faire pour s’autoriser à sortir, je trouve les Exit Adam très belles avec vos différents masques… vous faites œuvre à la fois de photographe documentaliste, puisqu’on est au plus près de ce qu’a été le confinement, mais vous faites un travail d’artiste pour revisiter Rembrandt avec « La Leçon d'anatomie du docteur Tulp »… justement je crois que De jaren, du titre de votre monographie… signifie Les années en Néerlandais…

MMN’D— Les Années… C’est bien ça…

AC— Vous nous donnez à voir et à lire vos années 2019 à 2023, Avant de revenir à De jaren, j’aimerais que vous continuez à évoquer votre formation, on a quitté le Bar Floréal, vous avez parlé d’André Lejarre qui vous donne accès à la photographie documentaire et au reportage…

MMN’D— André va m’apporter la photographie sociale… Politique !

AC— Quels sont les apports de Raymond Eldin et de Véronique Le dosseur, dans votre formation… ainsi que de Madame Dagan votre professeur en histoire de l’art.

MMN’D— Différents et complémentaires, avec Raymond je vais parfaire ma formation technique, c’était un grand technicien… je vais travailler le studio, la lumière de studio, plus encore il va me pousser pour faire des portraits, à la fois en studio et en situation. Il va me faire percevoir le travail de Richard Avedon, Helmut Newton, il aimait aussi le travail de Cartier Bresson et d’Eugène W Smith… avec Véronique c’est l’opposé elle va développer chez moi, une sensibilité plus introspective, narrative, elle va me mettre entre les mains les œuvres de Nan Godin et de Diane Arbus, donc avec ces trois confluents André, Raymond et Véronique je vais pouvoir créer mon style avec mes propres influences qui seront Edward Weston… Robert Mapplethorpe, Don McCullin, Joel-Peter Witkin… Elliot Erwitt, Mario Giacomelli… Duane Michals…

AC— Et Madame Dagan, avec elle vous avez étudié l’histoire de l’art, la littérature et le cinéma. Que vous a-t-elle apporté, dans votre pratique de la photographie le fait d’avoir ce bagage culturel… mais avant vous avez omis de me répondre… oui, vous ne m’avez pas répondu qu’elle est pour vous votre première photographie en tant que photographe.

MMN’D— Cités invisibles Drancy 1992, dans la série HALL, c’est la première photographie dans laquelle j’ai une intention, je fais une mise en scène… avec le gamin… sans le gamin à vélo, il manquait quelque chose, on voit le gamin puis on voit derrière les habitations et puis on aperçoit les cimes d’une cité, une sorte de surimpression d’où le titre.

AC— Et vous aviez compris cela tout de suite.

MMN’D— Pas compris, perçu… c’est la première photographie que j’ai faite avec un regard d’artiste… j’hésitais à prendre la photographie, elle était intéressante du point de vue de la composition, mais sans plus, puis le gamin est rentré dans mon cadre, et je n’ai pas eu le temps d’appuyer, et je lui ai demandé de refaire le chemin, et là il l’a fait !

AC— Vous composez, c’est pour cela que vous mettez un liseré noir, pour dire que vous ne recadrez pas.

MMN’D— Oui, j’aime qu’on sache que ce cadre je l’ai choisi, même si selon les filtres, et le masquage il est aisé d’isoler et de donner de l’intensité pour concentrer votre regard, toutefois j’aime faire ma photographie lors de la prise de vue.

AC— Vous ne recadrez jamais.

MMN’D— Jamais que cela soit en argentique, ou maintenant en numérique.

AC— Vous m’avez dit en tant que modèle c’est à l’école, en tant que personne qui découvre cet art c’est par ce portrait par votre père, et en tant qu’artiste… Cités invisible 1992. Votre formation vous la devez à trois personnes André, Véronique et Raymond. Et Madame Dagan, quel est son apport dans votre savoir, je veux dire photographique, en histoire de l’art vous avez étudié les photographes…

MMN’D— En histoire de l’art on a évoqué Nadar, Cartier Bresson, et Lartigue, Lartigue lui rappelait Proust… avec Madame Dagan j’ai étudié de la Grotte de Lascaux, au cinématographe, son domaine de spécialisation c’était le cinéma, qu’elle appelait le cinématographe, et la littérature, avec elle je vais rencontrer les œuvres de Proust, Faulkner, Dostoïevski, Claudel, Montherlant, Gide, Mansfield, Shakespeare, Kafka, justement je découvre Kafka parce que j’étudiais Le Procès de Welles, pour « étudier » le film avant d’aller le voir, j’ai dû lire le découpage, une longue interview de Welles, et le roman ! Elle était ainsi Madame Dagan… pour répondre à votre question, son apport à ma construction en tant que photographe, je lui dois de découvrir le métier de directeur de la photographie et celui de cadreur. Je viens de la peinture et du cinéma. Donc du cadre. C’est mon école du regard. Je vais m’intéresser aux travaux de Gregg Toland, Raoul Coutard, Nestor Almendros, Gordon Willis, Henry Alekan, Michael Chapman, Ernest Laszlo, Stanley Cortez…

AC— Et la peinture…

MMN’D— Quattrocento, le maniérisme, l’art rupestre, Soutine, Chagall, l’art roman, la peinture contemporaine, Dubuffet et même Buffet, elle n’avait aucun snobisme, et enfin j’oubliais Malraux, l’écrivain, et l’homme du Musée de l’imaginaire. Pendant les quatre ans chez Madame Dagan, j’ai étudié le cinéma, la littérature et lors des deux premières années je faisais aussi de l’histoire de l’art, jusqu’à ma troisième année, mon mémoire aura pour titre : De l’empreinte au cinématographe mise en scène mise en espace de l’image. À votre question : quel est l’apport de la peinture et subséquemment des peintres dans ma photographique, je vois trois peintres : le premier est Matisse (évidemment chez d’Edward Weston sa manière de photographier le corps me rappellera, me convoquera les corps de Matisse c’est pour cela que je l’ai immédiatement aimé ce photographe), et les deux autres peintres qui m’influenceront dans mon approche du corps, et mes portraits et dans la manière que j’aurai de les transcender de les transformer seront Francis Bacon et son contemporain capital… Lucian Freud… je vais sur ma série sur les boxeurs travailler de manière contre-intuitive la vitesse et l’ouverture de diaphragme pour m’approcher des tableaux de Bacon tandis que pour mes portraits je vais plutôt aller vers une accentuation du grain pour travailler la matière, la texture de la peau… comme chez Lucian Freud… l’autre apport des peintres c’est les autoportraits, dans mon travail photographique, je pratique l’autoportrait… j’ai une approche de l’autoportrait qui tient davantage du geste du peintre que de celui du photographe, à commencer par Rembrandt que j’ai longuement étudié avec Madame Dagan…

AC— Vous faisiez aussi des études en musique en parallèle 1988-1992 : Guitare classique. 1992-2002 : Piano classique. 1993-1996 : Histoire de la musique. Et en 1992 vous faites votre premier documentaire photographique Hall, et en 1994 vous réalisez votre premier film Le Mangeur d’Hélium, vous avez fait beaucoup de choses à, à peine, 24 ans.

MMN’D— Le plus important c’est d’avoir continué…

AC— Une part importante de vos travaux est sur le portrait de proche et d’inconnu, un autre thème est le corps… corps des boxeurs, danseurs, travailleurs… et les villes, Pikine, Paris, Lisbonne, New York, Naples, Berlin, Bamako, Seattle, Tokyo… visage, corps, ville… des thèmes récurrents…il y a aussi une approche autobiographique dans vos travaux… l’autoportrait, la photographie documentaire par le bien du carnet ou du journal photographique… vous êtes écrivain, cinéaste, photographe et dramaturge. Ma question est la suivante, quand décidez-vous que c’est un roman, une pièce un film, ou une photographie comme avec JOUR-14 dès le départ vous avez décidé que ce serait une sorte de carnet photographique ou bien avez-vous essayé d’abord en tant qu’écrivain, cinéaste ou dramaturge, pour finalement opter pour la photographie, quand on a plusieurs cordes à son arc, pourquoi choisit-on telle ou telle corde.

MMN’D—Je ne choisis pas… c’était une évidence, parfois c’est une pièce parfois c’est un film, parfois c’est une nouvelle, un poème, un récit, ou un roman… mais je sais que quand je commence, j’ai mon genre, je ne change jamais de genre en cours… pour JOUR-14, c’était comme je disais une évidence, surtout cela faisait quelques années que je n’avais pas fait un travail similaire, c’est-à-dire un journal photographique, mes derniers travaux étaient souvent axés sur mes voyages… l’aperçu d’une ville, d’un point de vue subjectif… c’est ce que j’ai fait, puis il y a eu le décès de mon père, et j’ai dû accompagner le corps… c’était en 2019, c’est le triptyque Linceul cette série est dans mon corpus de photographie plasticienne… avant Linceul il faut remonter aux années 1995 ma série SHADOWS DANCERS sur les boxeurs, toujours en 1995 et jusqu’à 2003 avec ANAMORPHOSE ma série sur les corps et les visages où je vais travailler à partir du motif de Gustave Courbet et d’Helmut Newton… ça sera ma dernière série… pour quelques années…

AC — Ça coïncide cet arrêt… Quand vous cessez de faire de l’argentique…

MMN’D— C’est tout à fait ça… à partir de 2004, je vais surtout faire des photographies de villes… je ne vais plus travailler sur des projets plus, comment dire, introspectifs… c’est seulement en 2017 en allant à Zurich que je reprends avec À la rencontre d’un certain Stiller. Ici, je ne photographie pas seulement la ville, je fais un travail proche de ce que je ferai avec JOUR-14, il s’inscrit dans une veine autobiographique, un travail sur mon expérience personnelle, je vous ai parlé du livre La Photographie documentaire, à l’intérieur, un artiste aura un impact sur ma manière de faire ce que je pourrais nommer de l’autofiction photographique, c’est Arthur Freed, et de son journal en images qu’il tint durant un voyage en voiture avec sa copine, sur leur relation complexe tout en documentant la vie quotidienne du couple, ça tient du témoignage et au-delà, dans le paragraphe de présentation, je me souviens encore de la citation de son professeur de photographie Minor White qui disait à ses étudiants que « toute photographie est un autoportrait. »

AC — Zurich, Casablanca, Londres, Mexico, Madrid, Florence… vous avez beaucoup voyagé avant le confinement, justement comment avez-vous vécu le confinement sur le plan photographique vous avez fait JOUR-14, vous vous êtes remis au piano, avez vous écrit ?

MMN’D— Oui, j’ai continué à écrire, j’avais commencé en avril 2019 FURIA, un roman que j’ai terminé en juin 2022…

AC — Vous avez filmé…

MMN’D— Non… mais en août 2019 j’avais fait les photogrammes de RITA, et je m’apprêtais à monter le film, quand le confinement est arrivé… à votre question comment j’ai vécu cette parenthèse de presque deux ans… et particulièrement les premiers mois de confinement ? Bien, sincèrement très bien même, à partir du 13 mars 2020 je vais rester en France plus de trois mois. Ces treize dernières années je me partage entre Amsterdam (où vit et travaille ma femme depuis 2007) et Drancy, je suis une semaine sur deux aux Pays-Bas, entre les invitations, les salons, les conférences, les résidences, les voyages. Ces dernières années je n’ai pas passé plus de trois semaines au même endroit. C’était la première fois que je restais un jour de plus que 21 jours puisque ce fut 92 jours… Je ne retournerai à Amsterdam, qui sera mon premier voyage depuis le confinement, que le 9 juin 2022, le dernier remontait à février. Pendant ce confinement, j’ai écrit, et tout de suite j’ai eu envie de photographier, puisque nous vivions un moment unique, c’est pour cela que je voulais le documenter, et bien sûr je tenais mon journal littéraire qui a pour titre Nonobstant… c’est pour cela que je suis précis dans les dates.

AC — Vous l’avez commencé quand ?

MMN’D— 21 octobre… 2003, j’ai toujours eu des journaux, c’est Madame Dagan qui m’avait invité à en tenir un, mais avant cette année tous les ans, je les détruisais.

AC — Et pourquoi cette fois ci vous l’avez gardé ?

MMN’D — Virginie Hureau, mon éditrice chez l’Harmattan avec qui je vais fonder les Ateliers DONG en 2006 je ne sais plus comment on en est venu à parler de mon journal, j’ai dû lui dire qu’après notre déjeuner de retour de chez moi je vais passer à la broyeuse les journaux de 2003 à 2006. Elle m’a demandé de les lui apporter, elle aime le genre, je lui ai dit que je ne souhaite pas les éditer, elle veut juste les lire, je diffère mon autodafé… Quelques semaines après, elle me demande de ne pas les détruire et de continuer… elle trouve que mes journaux poursuivent mon œuvre. Je lui répète que je ne veux pas éditer à quoi bon les garder… elle me fait remarquer que mon journal permettrait à des étudiants et aux universitaires (j’ai cette chance d’avoir été étudié traduit commenté) de continuer à s’intéresser à mes œuvres, avec mon journal, ils ont une source de première main, comment est née telle ou telle œuvre ? Qui j’ai rencontré ? Comment je vis et ce que je pense ? Tout cela est intéressant… elle insiste, donc j’accepte.

AC — Vous le tenez tous les jours.

MMN’D — J’ai pris goût au journal, certaines années je suis plus investi que d’autres, disons certains mois, toutefois je conseille toujours aux apprentis écrivains ou dans mes stages deux choses ; avoir un carnet sur soi et tenir un journal.

AC — Et aux photographes.

MMN’D — De prendre le temps de faire la photographie, de ne pas shooter, je suis d’une génération qui a connu l’argentique, et ses 36 poses. Donc elle était précieuse, puis vint le numérique…

AC — Vous regrettez l’argentique.

MMN’D — Non, parce que le numérique m’a permis de faire des photographies qui auraient été impossibles en argentique. Je suis allé en juillet 2021 à la MEP pour la rétrospective de deux grands photographes aux styles très différents Moriyama et Tomatsu, et j’ai trouvé chez Daidō Moriyama, ce qui a permis pour lui l’apport d’un petit boitier numérique au point que depuis il n’utilise plus d’argentique, il fait ses séries en numérique, il n’aurait jamais pu produire ses dernières séries sans ce bouleversement, vous savez le numérique pour les photographes c’est comme l’arrivée de la Caméflex pour À bout de souffle, de Godard puis de la HD pour La vierge des tueurs de Barbet Schroeder.

AC — En numérique vous faites de la couleur ou du noir et blanc.

MMN’D — En majorité mes photographies sont en noir et blanc… à 80%, mais parfois je sais à la prise de vue, que cette photographie restera en couleur.

AC — Au début vos photographies avaient un contraste marqué et au fort grain, vous travailliez beaucoup le flou, et décadrage puis vous avez changé…

MMN’D — Changé non, c’est plus selon ce que je photographie, et j’ai toujours aimé l’expérimentation… cependant vous avez raison, je fais moins aujourd’hui ce que je faisais hier… je crois que c’est comme en littérature ou dans mes films, je n’aime pas me répéter, dès que je suis dans ma zone de confort, je vais à l’opposé pour essayer autre chose…

AC — Y a-t-il des sujets que vous refusez de photographier ?

MMN’D — Non, ma série ANAMORPHOSE sur le corps, fera l’objet d’une publication.

AC — Pas d’une exposition ?

MMN’D — Si… une galerie l’accepte…

AC — Vous appréciez de montrer votre travail.

MMN’D — Oui, autant que de le publier…

AC — Pourtant ces dernières années vous avez fait très peu d’expositions.

MMN’D — Plutôt ces deux dernières décennies, ma dernière exposition était à la bibliothèque Elsa Triolet en 2001… de 1992 à 2001 je faisais une exposition par an… puis après 2001 j’ai commencé à exposer les autres, à faire des projections manifestations avec le Magic Cinéma de Dominique Bax… jusqu’à créer le collectif ULTRAVIOLET en 2017.

AC — Vous aimez être dans un collectif.

MMN’D — Dès que je le peux, dès que cela est possible… beaucoup, dans les années 90 et début 2000 souvent avec des plasticiens… par exemple le peintre Stéphane Leroux, un peintre français installé au Japon, je l’ai rencontré à Paris il a proposé que je lui écrive un texte pour un projet sur Hiroshima c’était en… je ne me souviens plus de l’année, au début des années 2000.

AC — Je l’ai… il l’indique sur son site… En 2003, le peintre rencontre l’œuvre de l’écrivain contemporain Mamadou Mahmoud N'Dongo qui écrira le poème en anglais et en français “In the room 6.8.1945” en réponse à une série de peintures intitulées “Hiroshima est une tâche d'encre noire sur une feuille blanche”.

MMN’D — Il y a des artistes, mais aussi quand on me le propose des expositions : « De la pomme de terre à la lune », j’ai accepté parce que je trouvais le thème de l’expo fort drôle, j’ai fait une série autour et cela fut accroché rue Myrha…

AC — Dans les années 2000 vous avez cessé d’exposer, je connais des photographes qui photographient pour qu’on voit leurs travaux, d’autres pour des collectionneurs… d’autres encore pour témoigner… mais vous, vous semblez n’appartenir à aucune des catégories que je viens de citer.

MMN’D — Je vais voir des expositions, je vais dans les galeries, mais ce que je préfère c’est avoir le livre dans ma bibliothèque, c’est mon côté écrivain… pour moi la photographie, ma pratique de la photographie s’apparente plutôt à un carnet intime… Quand Fabrice Iaconelli m’a proposé de publier dans sa collection j’ai accepté, cela faisait des années que je cherchais à éditer mes travaux photographiques… j’aime exposer, j’aime aussi organiser des expositions et des manifestations, comme je vous l’ai dit j’apprécie cela, les vernissages, les accrochages créent une circulation avec l’artiste… mais ce que je préfère c’est publier.

AC — Cela faisait 20 ans que vous n’aviez pas exposé montré vos travaux ?

MMN’D — Je n’en ressentais pas le besoin, je postais mes photographies sur les réseaux sociaux… ainsi les personnes pouvaient voir mes travaux… par contre j’ai toujours souhaité publier faire une monographie. Certes, ma dernière exposition date bien d’il y a 20 ans, en 2003, le service jeunesse et sports de la marie de Drancy m’a demandé d’exposer pour l’inauguration d’une nouvelle salle de quartier. J’ai décidé d’exposer mes travaux sur la boxe, une vingtaine de tirages que j’avais moi-même réalisés comme je le fais toujours pour mes travaux en argentique, l’exposition devait durer un mois. J’étais dans d’autres projets, et quand j’ai souhaité récupérer mes clichés, ils avaient disparu… l’exposition avait bien été décrochée mais, on avait perdu les photographies… Dans la même semaine, mon voisin a eu un dégât des eaux, et le seul endroit qui a été impacté fut l’endroit où j’entreposais mes boîtes avec mes tirages, j’ai dû tout jeter. Ma chance c’est que mes négatifs étaient ailleurs. Bref en une semaine j’ai perdu tous mes tirages… et quelques mois après, en 2004 j’ai fait ma dernière série en argentique, et j’ai vendu mon appareil photographique mon Nikon F-801S…

AC — Vous aviez décidé d’arrêter ?

MMN’D — J’avais décidé de quitter l’atelier photographique, j’y étais entré en 1994 et j’en suis reparti en 2004, j’ai même été président de la section… pendant 2 ans… je suis parti pour plusieurs raisons au début j’ai beaucoup photographié, puis cela s’est tari, j’ai donc décidé de me séparer de mon boîtier. Je l’ai cédé symboliquement à un ami de Raymond qui lui, voyageait en Afghanistan où il faisait des portraits. À son retour, il m’a offert une petite boite que j’ai toujours... Je n’avais plus de labo, plus de boitier, mais depuis 1991 on parlait déjà des appareils numériques au Bar Floréal. Au fil des années, quand j’irai les voir, je verrai l’évolution avec l’apparition de nouveaux boitiers, des ordinateurs et constaterai qu’on passe plus de temps devant son écran à retravailler la photo qu’à appuyer sur le déclencheur… j’ai arrêté en 2004 et vous avez raison, ça coïncide avec mon arrêt de l’argentique, je me mets au numérique de manière ludique lors de mes voyages… Je vais faire ainsi pendant quelques années…

AC — 5 années… Jusqu’à Berlin/New-York 2009.

MMN’D — Tout à fait où je renoue avec la photographie documentaire, pour ce faire je vais avec la photographe Agnès Lebeaupin achetait sur ses conseils un Sony Cybershot…

AC — Vous allez à New York avec une bourse…

MMN’D — Oui j’écrivais La Géométrie des variables. Pour documenter La Géométrie j’ai demandé une Mission Stendhal pour aller à Berlin et à New York… Dès que j’ai su que j’avais la Bourse, mon premier achat fut pour ce boîtier, parce que je savais qu’à Berlin et plus encore à New York, j’allais faire un travail qui s’inscrirait sur ce que j’ai pu faire avec Hall… À partir de 2009 j’ai renoué avec la photographie, en 2016 j’acquiers un Sony A7, en 2019 un Gh5 sur les conseils de Fabrice parce que je voulais aussi un appareil avec lequel je puisse filmer. Pour finir j’aime les appareils compacts comme je vous l’ai dit et pour remplacer mon Cybershot je prends un Panasonic DMC-TZ82 sur les conseils de la photographe Sylvie Biscioni….

AC — Vous êtes entouré de photographes…

MMN’D — Oui…

AC — Certains on fait votre portrait…

MMN’D — Tous…

AC — En allant sur internet j’ai noté une liste de noms, il en manque peut être… pour les photographes Agnès Lebeaupin, Benoît Düh, Catherine Hélie, Olivier Denis, Fabrice Iaconelli, Thierry Hensgen, Ada Lansoy, Raymond Eldin, Sophie Bassouls, Sylvie Biscioni, Camille Keller, Julie Rochereau, Brigitte Sombié, Hélène Dres, pour les dessinateurs Lou Slati, Peggy Nile, Christian de Metter, et Améziane qui fera de vous un personnage de bande dessinée dans son livre Cash Cow Boys… et les artistes Laurent Blachier fera votre portrait en collage, et Fred Ebami un tableau (pour la couverture de Maintenant), vous-même avez fait des portraits de tous ces photographes et artistes…

MMN’D — Le paradoxe c’est que je n’ai fait le portrait d’aucun !

AC — Pourquoi ?

MMN’D — Je ne sais pas… si, beaucoup de photographes et d’artistes, une grande majorité, voire même tous, n’aime pas être pris en photo… je parle par expérience, moi cela ne me pose pas de problème au contraire…

AC — Pourquoi à votre avis…

MMN’D — Je pense que cela tient du même rapport de l’acteur de cinéma… certains n’aiment pas voir leur image sur l’écran… se voir est un problème, l’effet miroir… c’est étonnant, je pratique l’autoportrait et dans mes connaissances, les photographes j’entends, aucun ne le fait…

AC — De jaren Les années… est votre troisième monographie après NOIR, COLORS, vous avez le titre avant ou après ?

MMN’D — Souvent… j’ai le titre avant, rarement à la fin…

AC — Et pour vos photographies… vous avez des titres poétiques, dans NOIRS on sent que c’est l’œuvre d’un écrivain… je me souviens de la photographie Colombine…

MMN’D — Le titre me vient quand je regarde la photographie, le titre que je trouve, je le garde, je ne le change pas, il est évident… il m’apparait… Comme une… révélation… Au sens… photographique.

AC — Une belle conclusion… Merci, Mamadou Mahmoud N’Dongo !

MMN’D — Merci à vous Adeline Chapelier.

Entretien réalisé par Adeline Chapellier à Paris, le 24 février 2023.

De jaren
Adeline Chapellier

Adeline Chapellier née en 1963 à Caen, est une historienne et critique de l’art spécialiste des arts visuels. Ses travaux portent sur le processus créatif. Elle enseigne et vit à Paris.