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Ce passionnant roman mêle art contemporain et thriller politico-économique.
Le narrateur, Thomas Schoeller, un artiste en art visuel, est contacté par Abbas, attaché culturel à Paris de l'ambassade d'Anwar, un état pétrolier du Moyen-Orient. Fils de Nabil Sidi Saïd, Guide Suprême de la révolution islamique d'Anwar, Abbas a une véritable passion pour l'art contemporain mais aussi pour les poupées dont il a constitué une impressionnante collection.
Il a acheté une œuvre de Thomas Schoeller, Que la lumière soit ! : « derrière un grand rideau noir (qu'il faut tirer) deux écrans avec vingt petites fenêtres qui montrent en tout quarante bouches de femmes d'aspects, de culture, d'âges différents ; certaines ont les lèvres tatouées, certaines ont les lèvres redessinées au collagène, un petit nombre des lèvres fines, mais pour la plupart maquillées et pulpeuses, toutes ces bouches filmées verticalement récitent : Que la lumière soit ! »
Des bouches verticales, hommage à L'origine du monde de Gustave Courbet, pour une œuvre qui ne serait pas vraiment en odeur de sainteté dans une république islamique et qui rejoindra les poupées accumulées par Abbas dans des locaux secrets et ultra-sécurisés de l'ambassade parisienne.
Au fil des chapitres, nous découvrons les motivations de Thomas dans la conception de ses œuvres, comme la place des femmes dans le printemps arabe. « J'avais le désir d'évoquer ces manifestations, ces insurrections, je souhaitais traiter dans mon installation non pas de la fin des despotes, Kadhafi, Moubarak, Ben Ali, mais du commencement du despotisme… c'est-à-dire de l'effacement progressif des femmes dans ces révolutions : de la Tunisie de "Dégage Ben Ali" à l'Égypte des viols de la place Tahrir. Du printemps arabe à l'hiver islamiste. […] Dans la masse de documentation que j'avais amassée, une chose était acquise : les femmes seraient les perdantes de ces révolutions arabes. »
Maintenant Abbas voudrait une nouvelle œuvre de Thomas : un portrait du collectionneur filmé au milieu de toutes ses acquisitions.
Thomas est donc convié à l'ambassade pour une visite de la collection. Pour y accéder, l'artiste est accueilli par le responsable de la sécurité, Vanderlest, un ancien des Balkans, patibulaire, qui "ne se sentait en vie que lorsqu'il créait de la terreur autour de lui". De quoi installer une ambiance bien réfrigérante.
Pendant la visite, Thomas rencontre un autre artiste, le sculpteur Quiang Liang, qu'il n'aura pas l'occasion de revoir pour cause de décès soudain…
A la sortie de la visite, Thomas a la surprise d'être abordé par un ami d'enfance, Boris, avec qui il a commis quelques méfaits d'adolescents. Boris lui donne rendez-vous, le prévient qu'il est surveillé et en danger.
Les événements s'enchaînent alors très vite pour placer l'artiste au milieu d'un thriller haletant où la mort fait le ménage.
Il faut dire que l'Anwar, touché à son tour par le "printemps arabe", est en pleine guerre civile et que Tewifk, le frère d'Abbas, a lancé un djihad avec les capitaux des pétromonarchies du Golfe pour renverser le pouvoir de leur père qu'il juge pro-occidental. Des intérêts colossaux sont en jeu et Abbas, bien qu'à Paris, va tout de même se trouver au cœur de la tourmente…
En chapitres alternés, nous découvrons aussi le passé de Thomas, son enfance entre deux parents alcooliques pour des raisons différentes, les années passées dans une maison de retraite dirigée par sa mère, les rencontres avec des pensionnaires au fort tempérament qui vont déterminer son mode de vie : Lucienne qui l'initie au poker et Sonia qui est à l'origine de sa première œuvre en vidéo, Savon & Peau.
Thomas a fait de brillantes études d'histoire, jusqu'à l'agrégation, mais il préfère gagner sa vie comme joueur de poker professionnel en attendant de vivre de ses œuvres Certaines qualités du joueur vont lui être très utiles dans l'aventure où s'est engagé le créateur…
Un roman passionnant, foisonnant, avec beaucoup d'action et des personnages hauts en couleur, mais avec aussi une intéressante réflexion sur l'art contemporain, ses raisons d'être et sa place dans la société. Quel avenir, quelle mission, quel rôle, peut-on attribuer à une œuvre contre l'avis même de son auteur ? C'est ce que Thomas va être amené à découvrir et pour lui, rien ne sera plus comme avant…
Un roman passionnant, foisonnant.
Par : Serge Cabrol