PRESSE
EL HADJ
Voyage au cœur
du grand banditisme de banlieue
par Céline TRIDON
Tout commence par une scène de découpage dans une baignoire. De suite, une scène en tête : Scarface et son sanguinolent règlement de compte. Bienvenue dans l’univers noir et tortueux de la mafia. Pour vous guider : El Hadj, « le Pèlerin ». Ce pèlerin là n’est pas un enfant de chœur : c’est lui qui prend soin de séparer chaque morceaux de son meilleur ami. Mais El Hadj ressent comme un besoin, sinon de se repentir, du moins de se libérer : « De façon désordonnée m’apparaissaient différents souvenirs, tous avaient en commun d’être des déconvenues ou bien des faits anodins que j’amplifiais. Mais ce n’était pas tant le souvenir de mes échecs qui me tourmentait, que la fréquence avec laquelle ils se manifestaient. Combien de fois ces derniers jours, mais surtout ces dernières heures, il m’était arrivé de ressasser un épisode où je n’avais guère le beau rôle ? » Problème : tout n’est pas si facile et tout ne tient qu’à un fil, dans cette banlieue du 93. El Hadj voudrait couper le cordon, mais il ne peut pas.
Alors que le narrateur en arrive au stade du « bilan » de sa vie, interviennent ces flash-back dans le récit, autour de cette histoire d’ami découpé. Viennent s’y intercaler des bribes de l’enfance d’El Hadj, de l’excision de sa sœur à l’incendie qui tue toute sa famille, de son adoption par le « Vieux », un chef de la pègre, à ses débuts dans les combines…
Voyage au cœur du grand banditisme de banlieue, à travers un récit sobre et dépouillé : El Hadj voudrait en finir et « se ranger ». En attendant, il se remémore ces moments où il n’avait pas le beau rôle… Comment en est-il arrivé là ? Quelle sera l’issue pour lui ?
- Au commencement : une baignoire -
- Quelque part, dans le neuf-trois… -
Loin de faire dans les généralités, il ne s’agit pas de dépeindre encore la violence de la cité. La cité, ici, n’est certainement qu’un décor, l’auteur ayant grandi à Drancy. Il a choisi l’endroit qu’il connaissait le mieux : « Le terrain de jeu de mon enfance était un parking ; nos héros, les figures du grand banditisme. On n’avait pas d’alternative (…) On devient ce que notre société attend de nous, il y a une prédisposition, une collusion, la génération spontanée n’existe pas. On avait tendance à se tirer vers le bas… »
Le roman de N’Dongo se révèle donc être un polar banlieusard qui, en filigrane, aborde d’autres sujets délicats : l’impossibilité de s’en sortir, la place des femmes, le sens de l’honneur, la famille qu’elle soit biologique ou non, l’excision. Pour cela, pas besoin de pathos : N’Dongo adopte une écriture au style pur et dépouillé. Il y a d’ailleurs quelque chose de très visuel dans les pages de ce livre : parfois, juste une ligne par page. Parfois, un paragraphe. Et autour : du blanc. Comme pour suggérer les non-dits, comme pour accentuer la froideur de cet univers.
Autre intérêt de cet aspect visuel : morceler le récit en images cinématographiques et donner l’impression de visionner directement le moment. Le lecteur ne serait pas face à un livre, mais face à un écran. Un chapitre : une scène. Un paragraphe : un plan de la caméra. Le roman est exempt de description : inutile de savoir si le héros est petit ou grand, gros ou maigre. Puisqu’on est supposé le visualiser déjà…
Aussi est-il difficile d’en savoir plus sur ce personnage principal. Même si sa vie passée est évoquée à plusieurs reprises, le manque de détails empêche de s’attacher à lui. Mais après tout, qui voudrait s’attacher à un tueur ?
Et puis il y a tous ces personnages secondaires. Dont on n’arrive plus à retenir les noms tellement ils sont nombreux. On ne comprend pas non plus très bien leur importance ou leur fonction. Jusque dans l’humain, ce roman est froid. Il est concis, rapide, efficace : il n’y a pas de place pour le sentimentalisme, juste pour une noirceur à l’extrême. Règlements de compte, vies en suspens, passages à tabac. Violence des traditions.
- L’écriture cinématographique -
Comment s’en sortir pour le héros ? Il rêve de prendre le large avec sa copine, de changer de pays et de vie… mais ne quitte pas un gang qui veut. Il est pris dans la tourmente dès le premier chapitre, intitulé « 24 décembre ». Au deuxième chapitre, retour au 19 du même mois. Puis El Hadj poursuit petit à petit son récit des journées des 20, 21, 22, 23, selon une sorte d’agenda à la froide régularité du temps qui passe. Les dernières pages du roman achevées, une envie se fait sentir : celle de reprendre les toutes premières lignes de l’œuvre, juste pour voir. Et là, on se rend compte qu’on pourrait recommencer toute la lecture. Comme une spirale sans fin.
- L’éternel recommencement
d’une descente aux enfers -