PRESSE
KRAFT
Kraft
de Mamadou Mahmoud N'Dongo
A chacun la géographie de ses imaginaires. Par exemple, Sami Tchak nous a habitué à de longues excursions en Amérique latine. Alain Mabanckou, revient sans cesse au Congo. Comme Théo Ananissoh, au Togo ou Spike Lee à Brooklyn. Le terrain d’écriture de Mamadou Mahmoud N’Dongo, c’est la France. Et il prend des formes différentes. Celle de la banlieue dans Hadj, celle des milieux élitistes dans la Géométrie des variables. On imagine le quarantenaire narrateur de Remington vivant dans Paris. Et on se souvient encore du jeune artiste métis des Corps intermédiaires sa difficile scolarité dans l’est de la France.
Les personnages de Mamadou Mahmoud N’Dongo sont très peu déchirés par des questions identitaires. Nous sommes loin du destructeur entre-deux culturel que nous retrouvons dans l’écriture des romans sombres de Daniel Biyaoula. Non. Les personnages de N'Dongo sont Noirs, Blancs ou Métis. Ils sont confrontés à des challenges et ils ne se cherchent pas d’excuses, ils ne se replient pas dans un sentiment de rejet, quelque soit leur orientation sexuelle, leur couleur de peau, leur origine sociale. Enfin, çà a été le cas jusqu’à présent.
Kraft, le texte qui donne le titre à ce nouvel objet littéraire, met en scène le discours d’une violence. Regard sur un des plus grands trompettistes de l’histoire du Jazz. L’homme fut présent sur les plus grands disques de ce genre musical. Pourtant, il fut longtemps un invisible man. Trop noir pour jouer en premier plan dans les clubs de Jazz. Comme c’est souvent le cas chez Mamadou Mahmoud N’Dongo, le roman ne cède pas à l’idée de donner une réponse simpliste à ces schémas produits par la ségrégation raciale et l’héritage de l’esclavage aux Etats Unis. La dépygmentation à laquelle va se livrer le jazzman ne va qu’accentuer au final sa marginalisation. Il est donc intéressant de trouver Mamadou M. N'Dongo dans un registre un peu différent de son discours et en même temps. C’est encore la preuve de sa profonde capacité à offrir une multiplicité de regards sur ses personnages.
Mamadou Mahmoud N’Dongo s’autorise quelques fantaisies. Vous me direz qu'il est coutumier du fait. Certes. Mais si vous en doutiez, lisez la nouvelle qu’il consacre à un suicidaire qui ne peut trouver le repos final en raison d’un étonnant concours qui se déroule à proximité de l’hôtel où il est venu mettre fin à ses jours : plusieurs sosies de Marilyn Monroe se sont donnés rendez-vous en ce lieu. Chacun y met le sens qu’il veut. Mais, chez N’Dongo, mettre en scène l’immortalité de l’icône féminine du cinéma américain a quelque chose de savoureux, de brillant. Le paradoxe est justement dans ces représentations qui ne sont pas reçues pour ce qu’elles sont réellement. Marylin Monroe a mis fin à ses jours comme le narrateur tente de le faire. Elle a néanmoins survécu à son suicide. Non? Ici l’art et l’artiste sont perpétuellement questionnés.
Parmi les textes qui ont attiré mon attention, la série de chroniques sur un colporteur d’âme, Jamal le taximan, mérite un arrêt sur personnage. Les épisodes de la vie de Jamal sont des séquences de course, d’échanges avec ses clients, de pauses dans un bistrot à la rencontre des différentes saveurs de café... Mais ce n’est pas que cela. Avec des textes très courts, Mamadou Mahmoud N’Dongo croque également l’initiation à un métier, la transmission filiale du savoir et l’épanouissement dans l’accomplissement de cette oeuvre qui devient un art de vie. A l’heure où Uber achève une profession ou la renouvelle, on se dit que si tous les taximan se définissaient comme des colporteurs d’âme, leur corporation ne serait pas menacé par un tel chamboulement. Les discussions qu’il entreprend avec ses clients, je vous laisse les découvrir. Elles permettent au lecteur d’assister silencieusement à des histoires d’amours autrefois interdites, des réflexions sur la comédie ou sur le journalisme. Des rencontres heureuses et parfois des clashs. Car sinon, ce serait trop beau… pour être vrai.
Plus j’avance dans l’œuvre de Mamadou Mahmoud N’Dongo, mieux je pense cerner sa préoccupation, ses obsessions. Et si j’apprécie chaque fois un peu plus ses nouvelles œuvres, c’est avant tout parce que chacune d’entre elles constituent une pièce d’un vaste puzzle qu'est sont œuvre littéraire. D’où ma question : serez-vous en mesure prendre le train en marche de Mamadou sans vous péter les dents à la première lecture de son texte, Kraft?