PRESSE
La géométrie des variables
Les faiseurs de rois
La Géométrie des variables
par François Eychart
Comment le monde est-il dirigé et qui le dirige vraiment? En son temps, un certain Marx s'était penché sur la question et avait avance ses conclusions avec le retentissement que l'on sait. Depuis, d'autres se sont exercés à percer les intéressantes opacités qui permettent aux puissants d'asseoir et de renouveler leur pouvoir avec l'aide d'officines en communication. Ces puissants (de Bush à Berlusconi la liste en est longue ) ont souvent le sentiment de ne pouvoir se passer de ces officines. Y avoir recours est même, en quelque sorte, la marque de leur statut de haute personnalité.
Parler est agir chez les communicants, ce qui est assez normal pour une activité dont l'objectif est de travestir la réalité Pierre-Alexis de Nainville (un nom qui n'est pas sans en évoquer un autre, comme récemment celui de Maistre) a une belle réputation parce qu'il a réussi à faire prendre des vessies pour des lanternes à la masse de ceux qui se lèvent tôt et rêvent de garder leur travail jusqu'à la retraite. Sur le fond, Sainville est peu soucieux des qualités des personnages pour lesquels il travaille, même si rien n'échappe à son regard acéré et désabusé qu'importe que Sarkozy manque de profondeur et d'expérience, pourvu que les gens aient l'impression, le temps de l'élection, qu'il ressent leurs problèmes. Ce qui adviendra ensuite est hors contrat.
Grassement payés, ces techniciens interviennent pour assurer le succès de leur client, passant avec indifférence de la droite à la gauche et inversement. Ils aident aussi de petits malfrats qui, après avoir mis leur pays à feu et à sang, choisissent un zeste de légitimité sous la forme d'une élection arrangée. Le sinistre Darius Jones, ex-seigneur de la guerre au Libéria, en quête de respectabilité, va être pris en charge et devenir «un président comme les autres». Selon le mot de Françoise Sagan à Mitterrand, expert en la matière, «on ne sait jamais ce que nous réserve le passé». En effet, bien travaillé, le plus détestable peut constituer un magnifique tremplin.
La Géométrie des variables est une plongée dans cet envers du politique, dont les peuples ne sont autorisés qu'à voir la face correcte S'y expriment avec une réjouissante franchise - donc le plus grand cynisme - les opinions et les faits et gestes de deux gros poissons de ce système, Pierre- Alexis de Bain ville et surtout Daour Tembely, son jeune et brillant protégé Quand le récit commence Sainville, qui a plus de trente ans d'expérience, vient d'être mis sur la touche au profit de Daour, d'origine peule (dans cette profession on n'est pas raciste), qui est parti pour faire une carrière de premier plan avec l'aide de son mentor.
La critique des puissants est féroce. Elle procède par l'accumulation d'informations, de détails qui montrent l'importance des enjeux, la violence des intérêts qui se heurtent et rendent presque sympathiques les deux communicants, dans la mesure où ils ne sont dupes de rien. Leur vie personnelle souffre d'être ballottée d'un endroit à un autre, passant de Paris à Berlin, puis Genève, Amsterdam, New York, d'une affaire à une autre, dans un mouvement incessant qui empêche tout ancrage personnel véritable. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'auteur a voulu que le père de chacun d'eux se soit jadis suicidé. D'où, sans doute, un désir de revanche sur l'échec paternel. Survalorisant leur puissance, ils ont tendance à considérer que les hommes politiques ne sont que les faire-valoir de leur action. Mais sont-ils finalement autre chose que des mercenaires intellectuels. Une anecdote relatée par Sainville éclaire leur situation réelle. Lors d'un repas avec ses communicants, Thatcher doit choisir un plat et répond au serveur qu'elle veut un steak. Celui-ci lui demande ensuite «Et pour les légumes?» Et Thatcher de répondre «Les légumes prendront aussi un steak» .Les légumes, bien sûr, se taisent.
La question se pose de savoir comment ce système de captation d'opinion est possible, du moins avec une telle efficacité. La réponse est donnée «Votre génération n'a aucune culture politique!». Mais comment pourrait-elle l'avoir, étant donné la façon dont les choses sont de longue main organisées ?
Mamadou N'Dongo a réussi un roman brillant qui montre une des faces du système qui bride notre civilisation, avec une imagination toujours renouvelée.